
Des japonais déjà, au milieu des années 60, s’y sont employés : Takuma Nakahira et son comparse Daïdo Moriyama (Farewell Photography, le titre de son livre de 1972 n’est pas à entendre comme un adieu à la photo mais comme un au revoir à la photographie d’identification).


Dirk Braeckman (né en 1958 à Gand), que l’on découvre enfin, hallucinés, coupe lui aussi à ras l’herbe sous les pieds du commentaire. Mais de façon presqu’inverse : les japonais Provoke faisaient trembler le monde, lui le fige dans une sorte de lumière gelée. Ou alors braque sur lui un flash inquisiteur, violemment éblouissant. De près, une image de Braeckman ne repose plus, comme d’habitude, sur une transaction qui va du monde au papier : il semble que, techniquement parlant, il projette son image sur un mur de plâtre blanc un peu graveleux un peu marqué avant de la re-photographier. Ou alors (seconde voie) il travaille tellement le moment du tirage qu’il obtient quelque chose qui est à la limite du tactile. Une image de coton. Une photographie ouate - à laquelle les reproductions que nous postons ici, parce que trop claires, ne rendent pas justice: il faut voir ça sur livre, profondément sombres, pour ressentir cet effet d'étrangeté, comme si le monde réel avait fondu dans le gris du papier-peint. Pour qu’ainsi sa matière ait l’air aplatie, recrachée, dévidée. Il n’y a pas beaucoup de bruits dans les photographies de Braeckman. Elles évoquent quelques compositions de John Cage ou de Morton Feldman, voire un Durutti Column de réclusion.

La photo est l’agent de cette transformation du monde en monolithe gris. La mutation a lieu là en direct sous nos yeux, on se retrouve donc chez Dirk Braeckman au pire moment du commentaire, face à quelque chose que nous ne saisissons pas encore ou que nous n’identifions plus de la même façon, quelque chose face à quoi nous n’avons ni les armes ni les mots.
C’est d’autant plus troublant qu’il y a souvent des corps dans ces images, dans ces pièces qui ressemblaient encore il y a peu à des chambres d’hôtels. Des corps de femmes nues ou faisant l’amour. C’est embarrassant de ne plus soudain savoir nommer ça. Alors, comme en amour, on laisse faire le choc, on se laisse fondre dans cette sensation forte qu’aucune explication technique ne saurait dégager. Où l'on se contentera de dire qu’il fait noir, que l’air manque.


Dirk Braeckman, (with essays by Martin Germann & Dirk Lauwaert), Roma Publication, Amsterdam 2011, 384 pages.
inexplicablement, ce – gros – livre n’est pas distribué en France, alors qu’il a servi de catalogue à une exposition qui se tenait à Louvain, en Belgique, soit à une heure et demie de Thalys de Paris. On devrait reparler ici sous peu des éditions Roma, qui ont jusqu’au 7 avril une expo de leurs livres d’artistes à Paris, à la galerie Castillo/Corrales dans le XXème, 80 rue Julien Lacroix. On y trouve entre autres les livres magnifiques de Batia Suter.
ReplyDeleteMerci pour ce post qui nous plongent dans des lueurs crépusculaires... Vides, anonymes, les photos de Braeckman sont à peine des images, mais parlent plus que les images.
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