On se sent comme chez soi dans le catalogue (tout en noir et blanc - bonne idée) de la Biennale de Lyon qui ouvre demain matin : photos des oeuvres + fragment de textes de Burroughs, Gombrowicz, Bowles, Thomas Bernhardt, Borges ou Roberto Arlt. Mais une nouvelle nous a fait hurler de rire tellement elle est implaccable. Elle est signée Osvaldo Lamborghini. On ne va pas vous la raconter, Lamborghini on ne connaissait pas. On sait désormais qu’il est argentin (merci wikipedia), baroque, lacanien, mort et enterré (en 1985, à Barcelone) et que seule ici Laurence Viallet (respect !) s'est aventurée, pour l'heure, à le traduire (le Fjord suivi de Sebregondi recule - merci Amazon).
Mais attention quand même, parce qu'une fois que vous aurez lu ces lignes, vous saurez, comme nous, que vous venez de rencontrer un écrivain qui ne va pas vous lâcher de sitôt. Un gros enculé d’écrivain.
«Je me rends très souvent dans un café de la rue Talcahuano. L’atmosphère est tranquille, paisible, et l’on peut même y lire (penser est presque partout impossible). En fait je n’y vais plus : mais j’y allais, et ça me plaisait. L’un des clients était un jeune grassouillet (un gros cul), habitué de la même table et du même serveur. Il plaisantait toujours avec le serveur et ils semblaient s’amuser beaucoup, il était aussi évident qu’ils s’estimaient au-delà d’une relation client-serveur. Ce dernier était provincial et parlait avec un fort accent, ce qui faisait paraître ses blagues plus drôles qu’elles n’étaient en réalité.
La soirée du 18 septembre 1978 était comme les autres, et le café, tranquille, comme toujours. Tout identique jusqu’au couple du salon privé qui prenait un café et se faisait les yeux doux avant de gagner leur chambre d’hôtel (ils avaient probablement les jambes enlacées sus la table, vieux truc pour se chauffer en public, mais cela, personne ne pouvait l’affirmer – si : il était sur que les jambes répétaient là la milonga qu’elles danseraient ensuite au lit, vicieux).
Arriva le fessu, le gros cul, appelez-le comme vous voudrez. Il s’assit à sa table, et les vannes mutuelles commencèrent, certaines lourdingues, avec le serveur provincial. Le tas de graisse commanda un pichet et les blagues continuèrent, toujours à voix haute, sans rien de secret. Ils étaient l’attraction vivante du café (moi je cessai de m’y rendre après la tragédie). Le fessu lui fit une blague idiote et grossière, comme ils en avaient l’habitude entre eux. Souriant, tranquille, le provincial contra : Mais tais-toi, gros enculé.
Nous qui étions proches ne vîmes pas grand-chose. Le gros cul s’arrêta et vida un chargeur complet de calibre 45 dans la poitrine de son ami le serveur. Je me rappelle l’anecdote pour deux raisons. D’abord parce que les tribunaux m’appellent pour déposer de temps à autre. Ensuite parce que celui qui appuya sur la détente quand il se senti appelé, sans volonté d’injure particulière, évidemment « gros enculé », tous les jours, sans s’offenser, acceptait le gros cul assassin, le gros cul, le classique « mais tu as plus de cul que de cervelle », ou « arrête de faire chier, joue pas les enculés ». Mais ce soir là les deux mots – gros et enculé – s’assemblèrent avec des conséquences fatales. Pourquoi un gros n’accepte-t-il pas l’accouplement gros/enculé ? C’est un thème passionnant à explorer."
(traduction: Judith Vernan, in Une terrible beauté est née, Presse du réel, 2011)
Osvaldo Lamborghini, Una teoria del montaje, in El Pibe Barulo, Novelas y cuentos, Barcelona, Ed del Serbal, 1988.
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ahah. drole, je me demandais comment trouver ca en feuilletant les 'parentheses' de Bolano (sur Lamborghini, a kind of love/hate thing, pp 35-36 et autres). battu au poteau. ca en devient 'rulfoesque' ces croisements...
ReplyDeleteOui... surtout qu'il en dit quoi, Bolano, de Lamborghini, à la page 36 d'Entre Parenthèses? que des choses qui nous intéressent en ce moment:
ReplyDelete"Il me fait peur. De peu de livres, je peux dire qu'ils ont une odeur de sang, de viscères ouverts, d'humeurs corporelles, d'action sans pardon. Aujourd'hui qu'il est tellement à la mode de parler des nihilistes, même si, lorsqu'on en parle, on fait allusion aux terroristes musulmans, qui justement n'ont absolument rien de nihilistes, il ne serait pas inutile de faire un tour dans l'oeuvre d'un véritable nihiliste. Le problème avec Lamborghini est qu'il s'est trompé de profession. Il s'en serait mieux tiré s'il avait travaillé comme tueurs à gage, ou comme prostitué, ou comme fossoyeur, des métiers moins compliqués que celui d'essayer de détruire la littérature. La littérature est une machine cuirassée. Elle ne s'inquiète pas des écrivains."
Dix lignes plus loin, histoire que toutes nos conversations de la semaine dernière se recoupent, Bolan cite Raymond Roussel. Brrrrr