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Disorder in Discipline-



Tuesday 27 September 2011

Sakiko Nomura, Kuroyami (Black Darkness), 2008















La première fois que vous l’ouvrez, cela fait un drôle d'effet : un livre complètement noir. A quoi ça peut bien servir, ça! Concept douteux, concept con, concept inhabituel dans la photographie japonaise (qui est précise mais assez peu intellectuelle au final, souvent dénuée de toute intention qui ne soit pas émotive). Puis sans savoir pourquoi (l’étonnement, la surprise ?), vous restez collés à l’image et au bout de quatre, cinq ou six secondes, une forme apparaît : ce sont des arbres noirs, pris dans la nuit noire. Des silhouettes d’encre sur un ciel d’encre. Le livre n’était pas noir, il était massivement fait de photographies prises de nuit, sans autre lampe que la lampe témoin pour nous aider à y voir clair. Là-dessus, le tirage, fou, pousse la darkness dans son dernier retranchement
Et nous, on fait quoi pendant ce temps ? Pour nous, il va falloir commencer par réapprendre à regarder. Le temps servira de révélateur, exigeant au passage un peu de patience, ce temps de patience que nous avons perdu, même devant un livre de photo. Maintenant que l'on sait, on se se surprend à reprendre le livre à l’envers (c’est une vielle habitude: commencer les bouquins de photo par la fin. Même chose pour le journal), et depuis cette chambre noire, on aperçoit mieux, on aperçoit bien là un bras, la un buste, là un visage, là deux corps enlacés, là des orteils de femme enserrant amoureusement des orteils d‘homme. Le même homme, photographié plusieurs fois, toujours la nuit, toujours nu, toujours dans le chuchotement amoureux de trois heure du matin. L’encre sert à l’habiller de murmure.
Soudain, sur une double page, la lumière du matin entre dans l’habitation, inonde la chambre. La photo est brusquement éblouissante, la page recouverte de blanc – c’est exactement la même chose mais en négatif. L’envers des ténèbres, c’est l’éclaboussement. Et quand assez vite le noir reprend ses droits, son corps à elle se tord de douleur, d’appel, de solitude, se débat avec les draps… La lumière rasante de l’aube qui monte doucement, à Tokyo, agit comme une consolation. Il ne reste de cette nuit qu’une rue sale, un lit défait. On pense à certains Garrel early 80's (la même qualité de silence), on repense surtout à ce film d’Akerman sur une insomnie collective, un été, à Bruxelles : Toute une nuit.

C’est un mausolée des amants en autoportrait de quatre heures du mat' que Sakiko Nomura (ex assistante d’Araki) a tenu à la première personne, se basant sur une technique d’une vérité implacable laissant l’encre faire intégralement le travail d’émotion, poussant toute chose vers les abîmes. Résultat: sommes-nous (toujours) dans la photographie, ou sommes-nous (déjà) dans l’imprimerie ?
Sakiko Nomura, Kuroyami, Akio Nagasawa Publishing, Tokyo, novembre 2008



6 comments:

  1. C'est un crêve-coeur d'avoir à illustrer ce post. Il est évident qu'aucun scan ne rend le tiers de l'effet que le livre produit. Il ramène le travail de Sakiko Nomura à de la photographie nocturne, de belle facture ok, alors que le livre l'en sort pour l'amener ailleurs (l'imprimerie, le souvenir, le silence...). Et puis ces photos prennent sens dans une sorte de mise en séquence, elles gagnent à l'addition des unes aux autres. Ce qui prouve que c'est là un très grand livre de photographie, au sens moderne du terme.

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  2. De toutes façons, ton texte est tellement bien qu'on a même plus envie d'aller voir à quoi ressemble le livre.

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  3. Mais bon, si jamais l'envie t'en prenait, j'ai trouvé cette merveille à l'Atelier d'en face, 3 rue Constant Berthaut. Et tu sais quoi? Il en avait un autre exemplaire... (pub au passage, ça ne fait pas de mal: leur sélection Photobook est une des plus avisées de Paris, et le garçon qui s'en occupe un vrai passionné )

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  4. Moi qui ne savais pas quoi faire cette aprèm' ! Je ne connaissais pas cette adresse, merci !

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  5. L'odeur des livres. Je n'ai pas pu résister à son parfum.
    Sa couverture est juste hallucinante, le noir total puis cette silhouette qui apparait, il m'a fallu bien plus de 6 secondes pour qu'elle se révèle à moi et ce n'est qu'une fois posé au café que les idéogrammes du titre me sont apparus.
    Sinon, en fait, je connaissais la librairie, très bonne adresse, malheureusement un peu trop loin de chez moi pour que j'y sois un client fidèle. Leur coin photo est effectivement excellent, d'ailleurs il ressemble étrangement à ma bibliothèque !
    Merci pour la découverte.

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  6. Pour ainsi dire en bas de chez moi. ça aide. Content d'avoir partagé ça avec toi.

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