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Disorder in Discipline-



Monday, 8 July 2013

Guillaume Dustan, Oeuvres 1, 1996-1998, réédition 2013

Sad news pour nos écrivains contemporains : même mort, Dustan bande encore. On réédite sa première trilogie dans une sorte de Pléiade informelle – Œuvres 1, sous titrée Romans (en était-ce ?). Deux autres volumes sont à attendre, le dernier contiendra un long inédit, laissé inachevé par sa mort, en octobre 2005.
C’était sans doute le bon moment : il n’y a plus la polémique barbeback (justifiée) pour parasiter la lecture, plus de bruit pour accompagner la page. On peut enfin lire l’écrivain juste avant le pédé scandaleux, juste avant le génie divin en chaps, juste avant le St Guillaume défoncé à tout ou le William Baranès, énarque ayant mis un point d’honneur à devenir infréquentable par tous.
Selon Ivan, voilà « le meilleur écrivain français de la fin du siècle - point d’interrogation» (et je crois l’un de ses meilleurs souvenirs d’interviews à Nova).
Moi, je ne sais plus très bien comment j’avais lu ça à la sortie. Je me souviens vaguement avoir trouvé Dans ma chambre « mignon »… Mignon ça ? Cette centaine de pages de plans culs SM racontés sèchement, dans le dur du truc !?! Mais j’étais dans quoi à l’époque ? Je ne me trouve pas d’explication, sinon qu’à la lecture devait me manquer la dimension tragi-lyrique que Guibert fournissait aux lecteurs hétéros par palanquées cinq ou six ans auparavant. J’étais trop petit trop inculte pour comprendre que Dustan se situait ailleurs, à l’autre bout du texte, dans une lignée dure et sèche, celle du Tricks de Renaud Camus. Quant à la dimension complètement tragique, la vie s’est chargée depuis de la rajouter - merci pour elle.

Faussement directs dans leurs dispositifs, humides au toucher, mats à l’image, Dans ma chambre, Je sors ce soir et Plus fort que moi tiennent du polaroïd. C’est ultra dur de réussir un polaroïd. En réussir trois d’un coup qui fassent système sans pour autant se ressembler (et dans le genre faux livres jumeaux, ces trois là ont valeur d’exemples) est un coup plus difficile encore. Dès trois, une préférence pour Je sors ce soir. En apparence le plus light, le moins écrit (si on le compare au style implacable de Plus fort que moi) – mais en vérité le plus ahurissant du point de vue de la gageure stylistique : réussir à tenir sur 100 pages une sorte de Siegfried existentiel en se limitant à décrire un Gay Tea Dance dominical à la Loco au début des années 90, c’était pas gagné sur la feuille. Mais Dustan ramasse tout ce qui passe comme idées entre le vestiaire, les chiottes (où il n’y a jamais de papier), la piste, les allées, balaye tous les recoins d’un espace neuronal où éclosent et meurent en direct toutes les peurs, tous les complexes que l'on nourrit sur soi même, tous les comas. Il les charge de la saveur amère que l'exa laisse dans la tête et pas seulement au fond de la gorge. Puis les livre au sol qui se dérobe sous les pieds lorsque, avec la montée, passent trop d’images à la fois.

Elle sort ce soir.
Mais sortir, si on y pense, est un verbe bien mal approprié : C'est où sortir, quand vous passez la nuit à jouer au chat et à la souris avec le fonds intérieur de vous-même ?





«Je n’ai plus envie de rien faire.
Je décide d’aller m’asseoir.
Les canapés sont quasiment tous vides maintenant.
Je remets ma chemise pour ne pas coller au skaï.
Je m’étale.
Je pose les pieds sur la table basse devant moi.
Je me cale plus confortablement.
Je ferme les yeux.
Ma bouche s’entrouvre.

Bien-être.

Quand je rouvre les yeux le mec qui était sur l’autre canapé n’est plus là.



L’exta sans shit c’est différent.
Je me repose.


Je ne pense pas.

Je ne pense pas à Alain.

Je ne pense pas à Terrier.

Je ne pense pas à Stéphane.

Je ne pense pas à Quentin.

Je ne pense pas à Vincent avec qui la capote a claqué l’année dernière, il y avait du sang et trois mois après il était séropositif.

Je ne pense pas à Marcelo. Je ne pense pas que j’ai peur qu’il soit malade. Je ne pense pas que je ne peux pas le faire venir ici parce que ce n’est pas une femme.

Je ne pense pas que ça fait sept ans que j’attends de mourir.

Je ne pense pas que l’amour est impossible. »

(Je sors ce soir)



(Ps : J’aime vraiment le risque que prend la préface de Thomas Clerc, son style exagérément universitaire qui a le bonheur spartiate de sortir Dustan du seul ghetto pédé pour le placer sur une autre ligne, celle de l’histoire de la littérature française. En revanche, l’appareil de notes de bas de page où il nous explique que David Lynch est un cinéaste américain et la techno un genre musical populaire dans les années 90, soit c’est un coup d’humour pince-sans-rire de Thomas (qui n’en manque pas), soit c’est juste abusé.)

Guillaume Dustan, Œuvres 1 (Dans ma chambre/Je sors ce soir/Plus fort que moi), préfaces et notes de Thomas Clerc, P.O.L., Paris, 2013


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