Saturday, 7 November 2009
Lisa Kahane, Do not give way to Evil: photographs of the south bronx, 1979-1987
Lost New York, suite. J’éprouve comme une mauvaise conscience de blanc-bec, à apprécier un livre remplis de photos de ruines, de décombres. De quel droit, assis chez moi, le chien pas loin, je peux trouver photogénique une telle collection de ravages? La fascination est pourtant là, palpable. Accentuée par le fait que je ne connais pour ainsi dire pas New York... Une seule visite, à une époque lointaine, si reculée que le Bronx ressemblait encore un peu à ce qu’il est dans ce livre. A ce qu'il était en 1978 donc, lorsque Lisa Kahane a entrepris de photographier pour la prospérité une zone qui avait connue successivement l’échec urbanistique, la fermeture des usines alentours, la défiguration – construction d’une voie express coupant en deux 113 rues et occasionnant des milliers de déplacements et un nouvel entassement humain-, l’arrivée massive des drogues dures, et enfin l’abandon total d'investissements financiers sans lesquels un quartier ne peut se survivre à lui-même.
Je me souviens mal de New York, mais les images de ce livre se confondent dans ma tête avec le souvenir très net de villes sortant toutes d’une guerre civile. Est-ce un hasard si Lisa Kahane est devenue photographe de guerre, par la suite ? Traverse-t-elle déjà ici un paysage en guerre. D'une autre guerre, économique, sociale?
Pourtant, il n’y a chez elle pas tant de désir que ça d’exagérer, de faire de toute cette dévastation un événement indépassable. C’est un Bronx niqué mais calme. Les photos noir et blanc sont de loin les plus belles, mais presque trop : les lignes de fuite glaçantes, les artères désertées, les amas de décombres composent une nature morte. La beauté désespérée des ruines... que l'on contemple à deux fois, une pour y croire (documentaire), l'autre pour repérer au milieu de ce no-man's land l'impasse d'où surgiront des gangs de warriors façon Walter Hill ou Carpenter, venus crever une fois pour toute ce silence (fiction). New York en 1978 ressemblait comme une soeur à New York 1997. Magnifier les débris est un projet hypnotisant mais discutable à long terme, que Kahane a eu l’intelligence de compenser par des tirages couleurs néo-réalistes, clichés moins puissants à première vues mais qui, en douce, donnent à voir la chaleur – celle, étouffante, du ciel défunt qui possède une couleur que je ne sais pas définir : bleu délavé, bleu trempé, bleu sale des mauvaises canicules. Et celle, moins indirecte, des gens, qui tous, de façon spontanée, posent sur ses photos en souriant. Histoire de nous dire qu’ils vivent là et qu’ils nous emmerdent.
Lisa Kahane, Do not give way to evil : photographs of the South Bronx, 1979-1987, powerHouse, 2008.
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Il n'en fera pas la publicité lui-même, alors faisons là à sa place: Pierre Evil vient de signer un très bel article sur le Bronx dans les années 70, intitulé "Je vous salue des égouts de New York", in New York, Histoire, promenade, anthologie et dictionnaire (Robert Laffont).
ReplyDeleteBig up!