Il y a plusieurs mois déjà, j'ai acheté ce livre, sorti par Fantagraphics : une anthologie des dessins et bandes dessinées de Rory Hayes. Ce que j'y ai vu m'obsède perpétuellement, chaque jour, chaque nuit, revenant inlassablement à la manière d'un écho, d'une mélodie dure, revêche, cassée en son milieu.
Rory Hayes était un de ces dessinateurs surgis dans la BD au moment du psychédélisme, en même temps que Crumb. Mais contrairement à ce dernier, Hayes avait un style tout brut, dessinant toujours comme lorsqu'il était enfant, des monstres et des paysages cosmiques, des créatures d'un Enfer dont on imagine qu'il n'est rien d'autre que le sien, tout intime.
Ses dessins et petites BD regroupées ici intégralement n'ont rien de commun avec qui que ce soit d'autre (mis à part un autre grand autiste de la BD américaine, Mark Beyer - j'en reparlerai un jour, lorsque je m'en serai extirpé). Rory Hayes dessine, gribouille, décadre, fait baver ses montres, déchire des univers entiers. Le traiter de fou serait un raccourci, une connerie : j'ai rarement vu, lu, fréquenté, d'univers aussi cohérent, aussi bien agencé et aussi habilement mis en place. Ce qui choque, c'est le grotesque, la vision démente d'une vie qu'il semble le seul capable de restituer avec justesse : une vie violente, délétère, impossible.
Rory Hayes était un oracle, un dessinateur rare. Crumb a été un des premiers à le publier dans les années 60 et même dans les années 80, il publiait des pages de Hayes dans son magazine Weirdo, dans un numéro spécial "Losers" assez inégalable. Lorsque j'ai rencontré Crumb en octobre dernier, je lui ai montré ce numéro pour qu'il me parle de Hayes. Crumb : "Hayes était un garçon très timide, pale, aux yeux bleux très éloignés l'un de l'autre, de sorte que l'on ne pouvait pas dire s'il vous regardait vraiment. Je l'aimais beaucoup. C'était une sorte d'ami à moi. Mais il s'est mis à la drogue et je crois qu'il est mort d'overdose. Dans les années 60, il travaillait dans une librairie de comics à San Francisco et c'est là que j'ai découvert ses premiers comics : ils étaient puissants, forts, étrange, fous et en même temps très organisés. Ils m'ont immédiatement plu et nous l'avons immédiatement publié dans Snatch. Ce qui a déplu à Janis Joplin qui est passé me voir à la maison pour me dire que c'était une énorme erreur de publier Rory Hayes, que c'était trop psychotique."
Where Demented Wented contient aussi un essai d'un fan de Hayes, Le grand Edwin Pouncey alias Savage Pencil (on en reparlera ici ou ailleurs un jour prochain) ainsi que des posters qui nous apprennent que Hayes avait aussi tourné des films, à la maison : on donnerait cher pour les voir, pour comprendre comment il transcrivait sur pellicule ses visions de violence cosmique.
Rory Hayes, Where Demented Wented, Fantagraphics, 2008
Salut Joseph.
ReplyDeleteExcellent texte, très bien écrit. Cet auteur à l'air vraiment déjanté. Je ne savais pas que Hayes était tox' et qu'il était mort d'une overdose. Je me rappelle que tu en avais déjà parler sur ton blog. Mais le problème de "Were demented wented", c'est qu'il est en v.o.
A + + +
Weirdo... Je ne vois que ce mot là. Super découverte, choukran Joe
ReplyDeleteça a l'air...dément!
ReplyDelete